Témoignages

Bonjour monsieur Gibert

Bonjour monsieur Gibert,

On a parlé de vous à la radio, il y a quelques jours. On a annoncé votre mort et fait entendre des morceaux de votre composition.
Il est vrai que vous étiez spécial : votre élégance tranquille, vos mots mais aussi votre besoin de créer ont eu un jour raison de votre intelligence et intuition mathématique.
Je me souviens quand vous avez quitté l’Éducation Nationale pour un choix professionnel « à risque ». Nous nous sommes rencontrés en 77, ton épouse et toi, mon époux et moi. Vous, les Gibert, nous avez aidés, nous les Roudeix, à mater le cancer qui avait déclaré la guerre à Rolland Roudeix.
Vous aviez bien des points communs toi et Roland et cela cimenta votre amitié: discrets (évitons le ridicule), pas mal séducteurs, amoureux de la vie (appliquons-nous à nous construire une vie qui prenne aux tripes, appliquons-nous à cela tant nous redoutons la mort, tâchons de donner une plénitude à ceux qui nous côtoient).
Tout cela vous autorisait à des absences, des voyages professionnels, des « performances » (ARFI, bridge, peut-être même dames de coeur) des éclipses qui nous mettaient, nous vos épouses, à plat. Vous vous faisiez désirer et haïr.

Alain, en mars dernier, tu nous avais dit que tu manquais de souffle, que tu craignais de ne plus être à la hauteur avec ton trombone. Tu étais bien le mieux placé pour en juger. Nous, Roland et moi, un peu nigauds côté musique, nous n’y avions vu que du feu. Tu doutais, tu t’attristais.

Et puis, et puis Roland a eu la malencontreuse initiative de prendre la porte de sortie début juin. Comme elle reste toujours entrouverte cette porte, tu n’as pas hésité bien longtemps. Solidaire, complice.

Ni toi, ni Roland n’êtes là désormais pour nous donner des conseils face à votre mort. Mais nous allons nous en sortir, nous les « endeuillées ». Nous allons respecter votre éthique, les gars. Nos ferons fi de nos petits maux et misères. Nous nous abstiendrons de pleurer longuement en public. Nous les veuves, nous continuerons à soigner ces chaumières que vous nous avez aidées à bâtir et qui ont,depuis un moment, été plus ou moins désertées par nos enfants.
Nous ne nous laisserons pas faire par votre absence.
Si vous avez été nos compagnons de vie, c’est bien, que morts ou vifs, vous comptiez sur nous pour tenir le cap.

Au revoir monsieur Gibert. Je vous embrasse.

Marie Roudeix