Interview d’Alain réalisée par Geneviève Schneider le 18 février 2011 pour un livre sur Steve Waring

J’ai vu Steve une première fois sur scène, il y a très longtemps, il était venu jouer à la maison des jeunes de St Jacques, à l’époque il jouait avec Anne-Marie, sa première épouse. J’étais avec Christian Ville, on était déjà tous les deux jazzmen, on travaillait de temps à temps à la Maison des Jeunes de St Jacques, on a vu cette affiche, je détestais assez le folk à l’époque, mais Christian m’a entraîné.

J’aimais toujours aussi peu le folk après, mais je trouvais qu’il faisait des choses inouïes pour un folkeux, il jouait de la sanza… Plus tard c’est Maurice qui m’en a reparlé parce qu’avec le Workshop de Lyon, ils s’étaient croisés dans un festival communiste à Vénissieux. En même temps que le Workshop, Steve jouait avec son groupe américain, il y avait Steve Potts, des musiciens de jazz. Ils ont du parler de théâtre musical et Steve a été invité à voir une des représentations de ce que jouaient à l’époque Maurice Merle et Christian Rollet dans la compagnie « La Carrerarie », il a trouvé cela formidable, avec son enthousiasme habituel, il s’est débrouillé pour les rencontrer encore. J’étais un ami de Maurice, mais à l’époque j’habitais encore au Puy, il m’en a parlé : on a vu Steve Waring, c’est bien ce qu’il fait…

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Bonjour monsieur Gibert,

On a parlé de vous à la radio, il y a quelques jours. On a annoncé votre mort et fait entendre des morceaux de votre composition.
Il est vrai que vous étiez spécial : votre élégance tranquille, vos mots mais aussi votre besoin de créer ont eu un jour raison de votre intelligence et intuition mathématique.
Je me souviens quand vous avez quitté l’Éducation Nationale pour un choix professionnel « à risque ». Nous nous sommes rencontrés en 77, ton épouse et toi, mon époux et moi. Vous, les Gibert, nous avez aidés, nous les Roudeix, à mater le cancer qui avait déclaré la guerre à Rolland Roudeix.
Vous aviez bien des points communs toi et Roland et cela cimenta votre amitié: discrets (évitons le ridicule), pas mal séducteurs, amoureux de la vie (appliquons-nous à nous construire une vie qui prenne aux tripes, appliquons-nous à cela tant nous redoutons la mort, tâchons de donner une plénitude à ceux qui nous côtoient).
Tout cela vous autorisait à des absences, des voyages professionnels, des « performances » (ARFI, bridge, peut-être même dames de coeur) des éclipses qui nous mettaient, nous vos épouses, à plat. Vous vous faisiez désirer et haïr.

Alain, en mars dernier, tu nous avais dit que tu manquais de souffle, que tu craignais de ne plus être à la hauteur avec ton trombone. Tu étais bien le mieux placé pour en juger. Nous, Roland et moi, un peu nigauds côté musique, nous n’y avions vu que du feu. Tu doutais, tu t’attristais.

Et puis, et puis Roland a eu la malencontreuse initiative de prendre la porte de sortie début juin. Comme elle reste toujours entrouverte cette porte, tu n’as pas hésité bien longtemps. Solidaire, complice.

Ni toi, ni Roland n’êtes là désormais pour nous donner des conseils face à votre mort. Mais nous allons nous en sortir, nous les « endeuillées ». Nous allons respecter votre éthique, les gars. Nos ferons fi de nos petits maux et misères. Nous nous abstiendrons de pleurer longuement en public. Nous les veuves, nous continuerons à soigner ces chaumières que vous nous avez aidées à bâtir et qui ont,depuis un moment, été plus ou moins désertées par nos enfants.
Nous ne nous laisserons pas faire par votre absence.
Si vous avez été nos compagnons de vie, c’est bien, que morts ou vifs, vous comptiez sur nous pour tenir le cap.

Au revoir monsieur Gibert. Je vous embrasse.

Marie Roudeix

Témoignages

Les suites d’Alain Gibert

Le Glob, 26 juin 2013

Rencontres au Havre (1), ça sonne comme un titre d’un roman de Pierre Mac Orlan, un scénario de Jacques Prévert, chronique d’une ville moderne pleine de souvenirs condensés. Début mars 1984, une certaine effervescence du Collectif National des Associations de Jazz et de Musique Improvisée avait réuni au Havre, organisateurs, musiciens et autres acteurs des dites musiques. L’Arfi (2) de Lyon y était un modèle de collectif pour beaucoup depuis 1977, Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire (terme qui a tout de même beaucoup plus de gueule et de poésie que les indigestes sigles qui ont désormais pris tout l’espace). La poésie et le collectif étaient deux choses fort constitutives de l’univers d’un de ses membres fondateurs, Alain Gibert, qui lors de ces rencontres avait animé une sorte de débat où il avait dit, d’un beau sourire, qu’il n’était pas nécessaire de ne pas aimer France Gall pour être amateur de musique improvisée. L’air de rien, cette phrase avait alors grande importance. Au Havre où l’on avait aussi beaucoup rit, le tromboniste et compositeur avait créé une belle pièce intitulée « Suite, suite et fin » avec un orchestre formé de ses camarades de Lyon – Jean Bolcato, Christian Ville, Christian Rollet, Louis Sclavis, Maurice Merle et d’autres amis comme Jean Cohen, Jean-François Canape et Béñat Achiary. Suite animée de cette sève si particulière, proche de la façon populaire, manière de conte, inventivité généreuse de langues, raffinement naturel de racines puissantes, que l’on retrouve dans les pièces de Gibert pour le Marvelous Band, la Marmite Infernale, le trio Appollo, le Tour de France de Louis Sclavis, la compagnie L’Auvergne Imaginée, ses mélodies pour les chanteurs Steve Waring et André Ricros ou encore ses arrangements plein d’esprit de pièces d’Ellington pour Sclavis, transactions idéales d’univers musicaux d’apparences lointaines. Alain Gibert, marvelous conteur s’est éclipsé cette nuit à Clermont-Ferrand.

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Illustrations : « Le petit instrumentaire d’Alain Gibert » pour la revue Jazz Ensuite n° 4 avril-mai 84 et n°5 été 84 (dessins Yolaf)

(1) Rencontres au Havre : double album collectif. Phonolite-Patch-PP. 0185. Enregistré à la Maison de la culture du Havre, rencontres du CNAJMI, du 1er au 4 mars 1984
(2) Arfi

Témoignages

Hommage à Alain sur le site de l’AMTA

André Ricros, Agence des Musiques des Territoires d’Auvergne

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– La tête d’Einstein avec à l’intérieur une brocante et un ordre stupéfiant.

– Des mains de maçon qui te reliaient à ton père et à la résistance du trombone.

– Des pieds hors du lit pour être toujours dans ton histoire et dans celle de tes contemporains.

– Des yeux sur le monde mais voulant s’échapper lorsque tu soufflais dans une embouchure.

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– Un imaginaire de bord des routes, tout ramasser, tout réutiliser, tout inventer.

– Une peur panique de l’injustice, une tolérance sans bornes, … une forme de génie.

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– Nos pensées entremêlées avec tes gestes dans ton jardin.

– Notre amitié, notre compagnonnage, nos complémentarités, nos faiblesses, notre fraternité, nos complicités, notre amour.

 

– Aujourd’hui nos vies Gibertisées.

Témoignages

Musicien au grand cœur, arrangeur remarquable, Alain Gibert est décédé le 23 juin.

Thierry Giard, Culture Jazz, 1er juillet 2013

Salut Alain,

Nous n’étions pas « amis » (le terme est galvaudé aujour’hui), nous n’étions pas « copains ». Quand nous nous rencontrions, nous avions plaisir à échanger quelques mots sur la musique et sur la vie, sur nos vies.
Dans mon carnet d’adresses « mail », en face de ton nom, j’avais écrit « trombarfiste », télescopage de trombone et d’ARFI, un mot à coulisse qui t’avait bien fait marrer lors de nos derniers échanges de vœux.

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Alain Gibert, tromboniste « Arfiste » et conteur hors-pair !
Photo © CultureJazz

Depuis plus de trente ans, nous avions eu diverses occasions de nous rencontrer et de partager de bons moments.

En mai 2011, à la suite du concert du duo Kif-Kif, riche de la complicité avec ton fils Clément, j’avais tenu à souligner que tu étais un des chaînons importants dans l’histoire du festival Jazz sous les Pommiers à Coutances (28 mai 2011). Nous n’en étions alors qu’aux ballons d’essai et en octobre 1980, nous avions invité le Marvelous Band qui faisait alors un bout de chemin avec Steve Waring, un autre de tes copains qui doit se sentir bien triste aujourd’hui. Un concert suivi d’ateliers d’initiation autour des percussions corporelles et de la voix. J’avais été impressionné par ton savoir-faire de pédagogue, attentif, patient, aidant, stimulant, drôle. Ce fut notre première occasion de nous cotoyer « en vrai ». Je ne te connaissais alors que par les disques de l’ARFI (Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire – Lyon).

Au milieu des années 90, quand se présenta l’occasion d’impliquer ma classe de CE2 à un projet de big-band d’enfants aboutissant à un concert au théâtre de Coutances, l’enseignant que j’étais ne voulait pas manquer ce nouveau rendez-vous. Si Steve Waring (encore) était l’initiateur du projet, tu en étais le maître d’œuvre. C’est ainsi que nous avons pu nous retrouver à deux ou trois reprises au cours de l’année. Quelle énergie, quelle vitalité tu mettais dans le travail avec des mômes qui se laissaient embarquer ! Tu savais leur expliquer le sens de l’effort, du sérieux, de l’implication… Un spectacle, un concert, ce n’est pas de la rigolade, il faut travailler ! Quand l’attention se relâchait lors des répétitions finales plus soutenues et fatiguantes, tu avais toujours une histoire à raconter, un de ces contes venus de l’Auvergne que tu aimais tant, ou d’ailleurs. Ta voix, la flamme de ton regard venaient à bout des plus « durs à cuire ». Du grand art, en particulier avec des enfants « différents » (la classe d ’un I.M.E. était aussi intégrée au projet). Ces quelques jours passés ensemble, dans la classe, au théâtre se terminaient par des travaux pratiques, le soir, dans mon garage pour fabriquer ensemble et en série les kazoos et les flûtes à eau qui devaient équiper les musiciens en herbe de ce big-band éphémère. Des moments de discussion et de rigolade en famille qui se terminaient par l’écoute de quelques disques… de jazz.

Bien entendu, tout cela est anecdotique et assez personnel mais c’est aussi à travers ces moments d’échange et de partage que l’on pouvait comprendre que les relations humaines comptaient pour toi autant que la musique. Quand, en concert, on te voyait jouer, constamment engagé dans ton art, on comprenait vite que tu voulais donner du bonheur et aller chercher le public pour le faire entrer dans ton univers où toutes les musiques se rassemblaient naturellement. Avec le Marvelous Band, tu avais inventé une world-music « naturelle », libre et toujours inventive.

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La Marmite Infernale : « Le cauchemar d’Hector » – 13 mai 2012
© CultureJazz.fr

Et quel arrangeur tu étais ! Avec la Marmite Infernale, tu mettais ton talent au service du projet collectif qu’il s’agisse de crier « Gloire à nos Héros » (ta version décapante de La Marseillaise devenue Lama say yes – oui, tu étais aussi le roi du calembour et des jeux de mots subtils – !) ou de chanter la liberté des peuples avec Song For Freedom, en association avec un chœur sud-africain (tu avais « mixé » une chanson de lutte du réunionais Daniel Waro avec l’Internationale, il fallait le faire). Récemment, tu avais eu envie de « bousiller Berlioz » pour répondre à une commande du Festival de la Côte-Saint-André, ville natale du compositeur. Une approche iconoclaste qui devint plus diplomatiquement « Le cauchemar d’Hector », dernière création en date (et sur disque) de la Marmite Infernale. Nous avons évoqué ce projet à plusieurs reprises dans nos pages, sur scène et sur disque. Tu avais mis beaucoup de toi-même dans cette audacieuse création où l’âme de l’ARFI pétillait. Tu avais aussi la satisfaction de voir l’équipe se renforcer et rajeunir avec l’arrivée de « jeunes pousses » qui venaient perpétuer la flamme toujours fièrement portée par les « anciens ». Parmi ces jeunes recrues, ton fils Clément qui s’est fait aujourd’hui un prénom. À l’ARFI, il restera un Gibert pour maintenir vivant l’héritage paternel.

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Alain et Clément Gibert, trombone et clarinette basse, c’est Kif-Kif !
Photo © CultureJazz

Dans cet été naissant, tu as décidé de jeter l’éponge, sournoisement happé par une tumeur foudroyante qui aura eu ta peau. Le 23 juin, tu nous as quittés à Clermont-Ferrand, pas bien loin de chez toi (Montmorin dans le Puy-de-Dôme).
Et qu’est-ce qu’on peut faire ou dire… sinon se souvenir et toujours garder l’image d’un moustachu débonnaire qui avait toujours un mot pour rire mais qui avait la passion de la vie, des gens et de la musique qui se réinvente, se régénère sans cesse.

Salut Alain.

Nous adressons nos condoléances et nos pensées les plus chaleureuses à la famille d’Alain Gibert, à tous ses copains de l’A.R.F.I., et à ses proches.