Hommage de Christian Rollet

 

Alain Gibert

Sa mort nous aiguillonne et nous désarçonne. Au pied du mur de  cette soudaine et irrévocable disparition, l’étonnement et  le désespoir nous saisissent au plus profond : nous avions, sans vigilance, laisser dans notre vie s’accumuler tant de versatilité, de mesquinerie, de faux problèmes, tant de dérisoire… et à cette heure, par cette absence qui nous est imposée définitivement, il nous apparaît soudain que, pour une large part, l’essentiel était à portée, depuis longtemps, dans la proximité avec cette personne là, que nous cotôyions et qui n’est plus.

Ce qui ne rend pas les choses faciles, c’est qu’Alain avait une aversion pour le pathos, dans les écrits, la musique ou les  spectacles ; sans doute de la pudeur, peut-être une sorte de fragilité de classe, intériorisée, une inhibition à fleur de peau, en présence des agressions de la forfanterie, du clinquant et de la virtuosité gratuite, qui sont des tentatives de domination culturelle.

Sa force à lui, évidente pour tous, tient dans la logique de son  raisonnement sans esbrouffe, mais tout autant dans un goût prononcé pour le paradoxe fructueux, le jeu sémantique des mots et ce qu’apporte le hasard de leur agencement homophonique.

Sa pensée s’est peu soumise au dictat lancinant des idéologies.

L’échange d’idées avec lui m’a toujours été nécessaire, unique, indispensable. Une addiction libre.

Ce qui va me manquer dans cette parole imprévisible, chaude, subtile, drôle, généreuse, enflammée et délibérément partisane, c’est le message inattendu, qui fait d’Alain un auteur de contes hors pair ;

C’est aussi la logique impeccable autant que déroutante de ses démonstrations surréalistes et son prosélytisme encourageant indéfectiblement la démarche collective ;

Ce sont ses sophismes intelligents, tenant lieu de dialectique poétique, qui, en réunion, balançaient culs par dessus tête les points de vue les plus équilibrés,  devenus les plus consensuels.

Comme compagnon de tournée, il a fait souvent succéder à de grands moments de discrétion économe, des fulgurances de générosité dont la fantaisie laissait sur place les plus grandes gueules !

Dans les conversations, dans ses textes, son propos, toujours précis, est tour à tour explorateur, divagatoire, prospectif, constructif, malicieux et provocateur mais jamais, dans ses choix de vie, la « moralité » comme il l’appelle, n’a fléchi dans son rôle déterminant de justice et de justesse.

« Moralité Surprise » !

Peut-être, d ‘ailleurs, ce domaine là était-il le seul où Alain n’exerçait pas, contre lui-même, un doute existentiel sévère, voire, ses derniers temps, dévastateur.

Il a dit un jour : «Quand l’instrument avance, la musique recule…»

Il est un musicien authentique parce que la musique l’habite et ne demande qu’à sortir en empruntant les voies ingénieuses induites par son imagination, son esprit faussement naïf et vraiment inventif.

Véritable praticien du folklore imaginaire, ses compositions sont apparues magistralement, évidentes, pleines de bonheur et d’espièglerie, emportant l’adhésion des interprètes, ses  amis, avec, en prime, un pied de nez à la sophistication discriminatoire et la culture d’élite.

Elles restent dans nos cœurs.

Ses partenaires, compagnons de route… de campagne, à jamais, ne tariront plus d’éloges sur son talent, son imagination, sa douceur et, surtout, ils vous parleront de la fidélité dont il a fait preuve à leur égard et qui les rassurait durablement sur la valeur de leur propre voie.

Depuis le début de sa vie de musicien, le souci et le plaisir de la transmission a accompagné toutes ses créations. Il a trouvé en lui-même des réponses décalées aux problèmes artistiques du compositeur et de l’interprète, (Il fallait lui écrire les partitions de trombone, en SiB et en clef de sol), et par sa capacité d’analyse réactive, il a réussi à rendre évident pour les autres, enfants ou adultes, l’abord serein de la complexité, devant laquelle, grâce à lui, ils demeuraient libres.

*Combien de personnes ont-elles été touchées par ce son de trombone « gibertisé » à la sanza, joué « En deçà du don » et au delà des catégories référencées ? (Il aurait préféré : «En deçà du Don, au delà de la Volga »)

* Combien de spectateurs ont été émus par les solos bouleversants donnés par ce grand corps d’homme-sauterelle vrillé par la concentration et l’effort?

* Combien d’enfants ont chanté ces chansons et ri à ses textes ?

* Combien de ses collègues d’orchestre ahuris, ont pouffé à ses narrations de barde illuminé, parfois hors de lui ?

* Combien de concerts donnés où le public a pu jouir de la suavité des mélodies inoubliables qu’il a composées ?

* Combien d’apprentis musiciens ont compris, par une démonstration n’excluant pas le bricolage, que la musique est à portée d’oreilles et de mains ? Que la musique est à porter au creux d’oreilles en friche ?

* Combien d’auditeurs, de spectateurs, longtemps après le concert ou l’écoute de ses disques, chantent et rechanteront ses thèmes ?

* Combien de musiciens confirmés ont reconnu immanquablement, en cet autodidacte échevelé, un compositeur et un arrangeur extraordinaire ?

Et combien d’amis ?

Peut-on l’évaluer. Peut-on le dire ?

Il le faudrait pourtant, définitivement, pour acclamer ensemble l’humanité de cet homme modeste que nous aimions !        

                                     

 Christian ROLLET

Hommages

De A à G, le petit abécédaire d’Alain Gibert

Du Free jazz Ensemble jusqu’à Kif-Kif, Alain Gibert a accompli un travail musical particulièrement original, créatif, extraordinairement diversifié, dense et fertile.
Un ouvrage mériterait amplement de lui être consacré !

Cet abécédaire n’aura d’autres prétentions que de s’approcher de l’œuvre et de l’esprit de l’ami qui vient de nous quitter et de solliciter d’autres témoignages à venir.

A

L’Ami d’Annie : « Voici l’histoire si bizarre, voici l’histoire d’l’ami d’Annie : l’ami d’Annie n’a pas de wapiti, pas d’kiwi, pas d’lama, ni d’ibis, pas d’ara, ni d’chat, ni d’rat ». Paroles et musique d’Alain Gibert. Sans doute son t
ube universel. Un petit trésor de mélodie à deux notes sur une rythmique quasi balinaise. Existe en version instrumentale et, sa version chantée, créée avec Steve Waring, va être reprise dans toutes les écoles de la République. Alain en fera aussi, à la demande du maire de Montmorin, son village, un arrangement pour l’Angélus des cloches de l’église.
Archéolo’Gib : Dans ce solo fraîchement décoffré, c’est Alain au naturel. Au trombone, il  alterne les suavités et les raucités, le trombone ouvert, avec sourdine ou « sanzé ». Il peut jouer, faire des percussions et chanter tout à la fois. Des comptines, des bourrées auvergnates, ses propres compositions en forme de confessions. Quand il colle un piano à pouce au bout du pavillon, il africanise l’instrument et son jeu tout autant. Son décor, c’est un trépied de branches de noisetier qu’il a décoré et sculpté à l’aide de son fidèle couteau suisse. Au final, il glisse deux gousses de flamboyant dans ses chaussures et s’en sert de sonnailles à pied, comme un homme-orchestre ressuscité.
Arfi : Alain en fut l’un des fondateurs et l’un de ses musiciens les plus féconds. Pour le critique Jean Buzelin, «il était de ceux qui ont véritablement inventé la couleur Arfi».
Auvergne Imaginée : L’expression figure sur la pochette du CD «Chariot d’Or»
dont  André Ricros assure la production (1995). La création de cette compagnie musicale par Alain et André remonte à 2003 et faisait suite à une longue collaboration entre eux, et ce, depuis le disque d’André, «Le Partage des eaux» où Alain fit les arrangements.

Depuis lors, la compagnie a produit de nombreux spectacles pour petits et grands, « contemporains mais ancrés dans une identité régionale forte » : «Jean de la Grive», «Les Contes du Hasard Domestique», «L’œil du Pharmacien», «l’Age de l’air», «le Partage des airs», «Les Sentiers de la tourmente» (avec Yannick Jaulin)… Deux projets sont en chantier : «Au-dessus du Monde», rencontre entre la danse africaine et la bourrée auvergnate et un travail à partir du répertoire de Joseph Canteloube. Lire la Suite

Hommage d’André Ricros (lu par Guy Villerd)

Alain

Qu’il pleuve ou qu’il vente, peu importe.

Qu’il fasse beau ou un sale temps, peu importe.

Nous sommes là debout face à tes horizons, toi le Grand, toi le Fabuleux de nos chansons, le Farfelu de nos musiques, l’Arrangeur de nos passions, le Rabillayre de nos sentiments et de nos envies.

Nous sommes là jusqu’à nos fins puisque nous n’avons pas le choix, debout face à la lune vers laquelle nous nous tournons pour hurler, pour aboyer comme des fous et des détraqués que nous sommes.

Nous sommes là, les pieds sur la terre avec nos rêves de neige, de congères, de tourmentes et avec ce satané trombone qui, trop grave, jappe, appelle un loup ou un aigle, crie son bonheur et son assurance car il sait qu’il a raison, qu’il a toutes les raisons.

Nous sommes là à tes pieds dans le regret d’une dernière phrase, d’un dernier mot, un couplet, un refrain, un accord, un son que sais-je et à tes pieds tous roulent, tout se déverse pour ensemencer ce sol afin que tu entendes durant des jours et durant des années ce que chacun de nous, au cœur de son intimité, t’a joué, t’a chanté et t’a raconté.

Nous sommes là debout avec nos peurs et nos solitudes à venir, avec le besoin de réapprendre et de retrouver cet émerveillement que tu portais naturellement en toi comme un cadeau, comme de l’eau que l’on propose au passant, comme une main tendue pour saluer celui qui marche.

Nous sommes là dans le bruit des marmites et des chaudrons, dans la magie de la soupe aux orties et dans l’alchimie de la fleck, dans l’espace de ton jardin et la vue sur les puys.

Nous sommes là dans l’harmonie et le déséquilibre de nos mémoires et nous serons toujours là dans le vertige de nos souvenirs.

Nous sommes là avec Nadine et tes enfants debout face à toi, debout et encore debout pour ne pas disparaître.

Dors mon ami dors, nous continuons de marcher ensemble.

Hommages

Lu pitsumé sh’éj éndjürmii (Chariot d’or)

Robert Peyrillou, Le blog de Souillac en Jazz, 25 juin 2013

Alain Gibert, Souillac 2005

Alain Gibert, Souillac 2005

Au moment où Nelson Mandela s’apprête à laisser son peuple, à nous laisser, j’apprends avec stupéfaction la disparition d’Alain Gibert, musicien du collectif ARFI, venu à Souillac pour le 30e anniversaire du festival, présenter « Sing for freedom » ou La Marmite infernale rencontre Le Nelson Mandela Metropolitan Choir. Cette année-là, il dirigeait l’orchestre qui accompagnait le ciné-concert « L’œil du pharmacien », film en noir et blanc sur le monde paysan auvergnat. Avec lui, il y avait, outre Clément son fils, clarinettiste, André Ricros, son grand ami, cabrettaïre, directeur de l’Agence des musiques traditionnelles d’Auvergne. Alain a participé au mouvement du jazz contemporain au début du collectif de l’Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire, a travaillé en direction des jeunes et surtout à la recherche de ses racines musicales dans le terroir de l’Auvergne. Il se doublait d’une belle personne, resté deux jours avec nous, il avait accompagné les bénévoles avant de nous présenter le deuxième soir avec La Marmite Infernale, le chœur de la Métropole Nelson Mandela dirigé par Mthuthuzeli Majeke, qui recevait des mains d’Alain Chastagnol alors maire de la ville, la médaille de Citoyen d’Honneur de Souillac. Paix à Alain et Madiba, c’est le moment de réécouter Africa Mood, un traditionnel sud-africain, chant de lutte anti-apartheid, demandant à Nelson Mandela, alors en prison de guider le peuple et de le conduire à la victoire.

Hommages

Hommage d’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication à Alain Gibert

Paris, le 26 juin 2013

L’Arfi, association à la recherche d’un folklore imaginaire, collectif de musiciens lyonnais fondé en 1978, est en deuil. Elle vient de perdre l’un de ses pères fondateurs, le tromboniste et inventeur de sons Alain Gibert. Autodidacte, Alain Gibert avait découvert la musique à travers sa passion pour le jazz. D’abord guitariste, il avait ensuite choisi de jouer du trombone. Il incarnait la grande histoire du jazz et de la musique libre racontée au jeune public à travers les nombreux spectacles qu’il lui a consacrés. Les adultes n’étaient pas en reste lorsqu’il collaborait avec des orchestres comme le Marvelous Band, la Marmite Infernale ou le trio Apollo, ou avec André Ricros, le chanteur de la Compagnie de l’Auvergne Imaginée, le clarinettiste Louis Sclavis et le compositeur Steve Waring. Alain Gibert laissera à tous les amateurs de jazz et de musiques improvisées le souvenir d’un artiste généreux, d’un remarquable pédagogue amoureux de l’Auvergne et de ses musiques traditionnelles et d’un infatigable expérimentateur de sons, de musiques et de chansons.

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